Eclipse annulaire de 2005

Destination l'Espagne

Article de Serge

Ephémérides : « Le 3 octobre 2005, une éclipse de soleil traversera l’Espagne d’ouest en est, puis la Méditerranéenne et enfin, plongera sur le continent africain. Elle sera de type annulaire et durera un peu plus de quatre minutes.

Cette éclipse nous invite à prendre une semaine de congés pour se rendre en Espagne. Madame Brigitte a constitué un impressionnant dossier concernant les prévisions météorologiques et les gîtes disponibles sur la ligne de totalité de l’événement. Elle a choisi comme point de chute un petit hameau proche de la localité d’Alcajar del Jucar, entre Valence et Albacete.
Nous la rejoignons après un agréable voyage de deux jours, traversant de splendides paysages, et profitant du beau temps pour piquer une tête dans la méditerranée.
Nous découvrons là quelques maisons posées au bord d’un magnifique canyon, balafrant un plateau aride. Celle qu’occupe Brigitte et Didier est bien repérable, juste sous le château d’eau du village. C’est ici, à l’ombre de cet édifice, que les anciens se retrouvent et pour discuter des choses de la vie, ce qui procure une certaine animation.

Les préparatifs

Cependant, le compte à rebours a déjà commencé. Nous mettons au point le programme du lendemain. J’en profite pour vérifier mon matériel photo et calculer vite fait sur un coin de table les paramètres du chapelet que je compte faire.
Nous débattons du lieu d’observation, tributaire de la météo. Il s’avère que le temps est splendide depuis plusieurs jours mais que les brumes matinales mettent toujours un certain temps pour se dissiper. De plus, des nuages sont bien présents à quelques dizaines de kilomètres de là, vers l’est, sur Valence.
Brigitte a repéré quelques sites possibles, plus au centre des terres. Mais il s’avère que l’endroit où nous sommes est tout à fait correct, quoique n’étant pas exactement sur la ligne de centralité.
Nous avons absolument besoin de certitudes. Nous contactons Remy qui pour l’occasion, s’est proposé d’être notre « routeur météo ». Rassurant, il nous confirme que nous sommes idéalement placés d’après les prévisions recueillies sur Internet. Cela ne nous empêchera pas de lui demander une confirmation à sept heures du matin, peu de temps avant l’événement. Merci Remy pour ce travail.

L’installation

Maintenant, le jour se lève ; il est grand temps d’installer le matériel. Nous nous postons sur une petite esplanade naturelle repérée la veille en bordure du hameau, d’un champ d’olivier et du précipice du canyon. Le temps s’annonce superbe et nous met du baume au cœur.
Brigeou monte son C8 équipé d’un filtre solaire pleine ouverture et d’un appareil photo. Elle prévoit de prendre des clichés au foyer de l’instrument à intervalles réguliers.
De mon coté, je privilégie le spectacle visuel. Pour une observation aisée de l’éclipse, j’utilise un solarscope maison, engin rustique et bien pratique qui a déjà quelques éclipses à son actif. La longue vue et l’ETX 90, tous deux couverts de filtres mylar, donneront des images plus détaillées avec des grossissements respectifs de 20x et 100x. Enfin, mon appareil photo argentique est programmé pour immortaliser automatiquement le chapelet.
Le soleil vient de se lever, tout est enfin prêt à cinq minutes du premier contact.

Le solarscope

Cet engin permet de voir le soleil en toute simplicité et sécurité. Il est constitué d’un gros tube de carton. A une extrémité, un bouchon découpé laisse passer un des objectifs d’une petite paire de jumelle 10×25. Celle-ci est maintenue fermement par des entretoises. L’image se projette au fond du tube, sur une feuille de papier Canson blanc faisant office d’écran. Une large échancrure est découpée dans la base du cylindre pour permettre la vision de l’écran. Pour augmenter le contraste, l’intérieur du tube est peint en noir mat. L’ensemble se monte sur un petit pied photo.

C’est parti

L’œil rivé à l’oculaire, nous égrenons le compte à rebours final. A l’instant T, le déclencheur de l’appareil photo est activé, la séquence automatique se lance et….. rien ne se passe.
Le premier contact est observé plus d’une minute et demie plus tard. Que s’est-il passé ? La précision des calculs astronomiques ne sont plus ce qui étaient ? Est-on rentré dans un vortex spacio-temporel ? Bien plus simplement, nos montres n’étaient pas à l’heure exacte. Voilà qui devrait nous servir de leçon à l’avenir.
Tant pis pour le parfait calage du chapelet sur les diapositives. Cela ne nous empêche pas de jouir pleinement du spectacle du soleil se faisant grignoter progressivement par la lune.
Régulièrement, nous relevons la température et l’hygrométrie ambiante. A peu de chose près, le soleil monte d’autant dans le ciel qu’il est éclipsé par la lune, ce qui produit une courbe de température assez plate aux alentours de 12°C. Toutefois, on note bien un minima de 11,6°C vers 11h20. Par ailleurs, la courbe d’hygrométrie relative trace de façon plus significative l’évolution du phénomène avec un maxima à 45% à partir de 1h20.
Bizarrement, nous constatons un décalage de vingt minutes entre la forme du graphique et le moment de la totalité qui a eu lieu de 10h59 à 11h02 (je vous fais grâce des secondes).
Au télescope, on distingue très bien le relief lunaire se découper sur le disque solaire. Petit à petit, la lumière blafarde caractéristique s’installe. Nous en profitons pour constater et photographier les croissants de soleil projetés au sol par l’ombre du feuillage des oliviers.
On approche doucement du deuxième contact. C’est à ce moment que je prends conscience des caractéristiques physiques de cette éclipse annulaire à 90%.
Cela veut tout simplement dire qu’il reste 10% de surface solaire visible, ce qui est énorme ! Par ce fait, le ciel ne s’assombrit pas franchement, la lumière reste blafarde mais jamais crépusculaire. Evidemment pas de planètes ni d’étoiles et surtout, le phénomène de totalité est invisible sans l’usage de lunettes et filtres. En fin de compte, nous ressentons l’ambiance générale d’une éclipse partielle de 90%.

Histoire de croissants

Les feuillages des arbres laissent passer entre leurs feuilles des «trous» de lumière. Or il se trouve que ces trous, lorsque leur taille est suffisamment petite, ne projettent pas une tache de lumière dont la forme correspond à leurs silhouettes propres. Ils obligent les rayons de lumière à s’organiser en passant par un point commun. Dès lors, ils se comportent comme autant d’objectfs photographiques. Ils deviennent des « sténopés ». Ainsi, les taches de lumière projetées au sol sont des images fidèles du soleil. Celui-ci étant partiellement éclipsé, on voit une multitude de petits croissants lumineux.

La totalité

Mais c’est au télescope que le spectacle devient splendide. L’étroit croissant de lumière voit ses pointes encore s’affiner.
Puis, de plus en plus rapidement, elles encerclent le disque noir. A cet instant et à cet endroit précis, la silhouette du relief lunaire s’affirme d’avantage et provoque un chapelet de grains de Bailly, succession rapide de levers de soleil au fond de chaque vallée lunaire. Ces quelques secondes mériteraient une séquence vidéo pour mettre en évidence l’aspect esthétique et dynamique de ce phénomène.
Enfin, l’anneau est fermé (le retard de nos montres est bien confirmé). Il mettra deux minutes pour se centrer précisément.
L’image de ce cercle de feu est saisissante, splendide de perfection. Le choc viscéral et animal est bien présent. Dommage qu’on ne puisse quitter les lunettes pour s’imbiber totalement de cet instant magique. Toutefois, il apparaîtra après un examen attentif des clichés de Brigitte que, n’étant pas exactement posté sur la ligne de centralité, la concentricité de cette figure géométrique n’est pas tout à fait parfaite au moment de la totalité. Mais sur l’instant, nous ne l’avons pas constaté.
Puis, magie de toutes éclipses, le film se rembobine et dans une parfaite symétrie, nous avons le plaisir de revire toutes ces séquences à l’envers.
Le troisième contact est tout aussi saisissant que le second. Comme une soucoupe de lait qu’on viderait et qui dévoilerait les bords du fond du récipient, l’anneau tout à coup se brise, les pointes se séparent tout aussi rapidement, accompagnées de leurs colliers de perles éclatantes qui là, sont autant de couchers de soleil lunaires.
Pour autant, l’intensité vécue de ces quatre minutes écoulées ne nous fait pas bouder la fin du phénomène que nous avons méticuleusement suivit jusqu’au dernier contact, parachevant ainsi en beauté le spectacle.
Durant tout le temps, nous avons eu une pensée pour Pierre. Non loin de là, il avait choisi les alentours de Madrid pour réaliser ses observations et ses photos.

 

Conclusion

Pari réussi que cette éclipse 2005. Quelques petits détails techniques sont à peaufiner, mais cela restera une belle aventure et surtout, sera une solide répétition pour la suivante qui aura lieu en mars 2006.
Oui, une annulaire n’est pas une totale, loin s’en faut. Le résidu éblouissant ne permet pas de voir la couronne et les protubérances solaires. On ne peut ressentir l’ambiance lumineuse si particulière qui nous avait tant ébranlés lors de l’éclipse de 1999 (enfin, pour ceux qui étaient là où il fallait…). De plus, la météo parfaite et la sérénité des lieux n’ont pas contribué à distiller la quantité d’adrénaline nécessaire pour transformer l’être humain en bestiole au comportement parfois étrange pour un public non averti. L’émotion de l’instant est de ce fait moins intense, mais tout de même bien présente.
Mais au-delà de ces considérations, cela restera une belle page d’astronomie pratique.

Des magnitudiens au pays des tortillas

Article de Brigitte

Arrivés quelques jours avant la date fatidique du 3 octobre 2005 dans un petit coin de l’Espagne bénie des dieux de la météo, à H-1 du début de l’événement, on se prépare à savourer le spectacle de cette éclipse annulaire tant annoncée. Serge et sa dame nous ayant rejoint 2 jours auparavant, nous nous installons au milieu des oliviers à la sortie du village de La Gila au bord d’un canyon, dans cette ambiance bien particulière que connaissent les astronomes partis chercher « le phénomène ». Le ciel est d’un bleu azur très pur, et seule une petite virgule blanche s’étale vers l’est, mais visiblement rien de bien méchant pour nos projets.

La veille, nous avions défini nos plans de bataille respectifs : observations et photos.

Situation géographique (relevés gps) et circonstances locales de l’éclipse

Latitude : + 39°12 Nord – Longitude : + 1°22 Ouest

Durée phase centrale : 4 minutes

Maximum de l’éclipse : 09H01M41S (UT) – Obs 90.5 – g 0.969 – h 31 – a 307° (avec UT = temps universel, obs = degrés d’obscuration, g = grandeur de l’éclipse, h = hauteur du soleil et a = azimut).

1er contact : 7h41m27s – 2ème contact : 8h58m41s

3ème contact : 9h02m41s – 4ème contact : 10h27m55s

Soit 2h46m28 de spectacle en live.

Circonstances du maximum de l’éclipse sur la ligne Valence Madrid :

La ligne de centralité est l’intersection de l’axe du cône d’ombre de l’éclipse avec la surface de l’ellipsoïde terrestre. La bande de centralité est la trace de la projection de l’ombre lunaire sur la surface de l’ellipsoïde terrestre. Point de la ligne de centralité le plus proche de La Gila :

Maximum de l’éclipse TU
Coordonées géographiques de la ligne de centralité
Durée phase centrale
Largeur de l’ombre (1)
Degrés d’obscuration
Grandeur de l’éclipse
Hauteur apparente du soleil (2)
Azimut (3)
09H01
+39°18,4′
-1°2,6′
4 mn 9,4s
181 km
90,5 %
0,976
31°
307°

(1) : la largeur de l’ombre dans la direction perpendiculaire à son déplacement.

(2) : la hauteur apparente du centre du Soleil (on ne tient pas compte de la réfraction atmosphérique).

(3) : l’azimut apparent du centre du Soleil (il s’agit de l’azimut des astronomes et non celui des marins).

 

Comme on peut le constater, à La Gila nous étions à 6’en latitude en dessous du point le plus proche de  la ligne de centralité.

L’ellipsoïde (de révolution) terrestre se définit par son rayon équatorial (re) et son aplatissement α. Actuellement l’ellipsoïde de référence a pour éléments : re = 6 378,1363 m et α = 1/298,257

Ce qui entraîne pour le rayon polaire : rp = re – (re α ) = 6 356,7516 m (d’où une différence de 21,385 km entre le rayon équatorial et le rayon polaire).

Distance nous séparant de la ligne de centralité : (2 rp π/360)*(1/60)*6  = 11,09 km.

Différence de temps au moment du maximum pour une distance à 11,09 km de la ligne de centralité : 9 secondes.

Prenant en compte que cette éclipse est annulaire, 9 secondes de moins pendant le maximum ne nous gênait pas outre mesure. Pour une éclipse totale, on aurait chipoté. 9 secondes de couronne solaire en plus, ça ne se refuse pas. De plus le site que nous avions choisi, au bord du canyon, près des oliviers, nous convenait tout à fait ;  horizon bien dégagé, éloigné des maisons du village, pas de route à proximité, calme garanti.

Que le spectacle commence

L’œil collé à l’oculaire pour les uns, lunettes d’éclipse sur le nez pour les autres, on scrute pour détecter le début du grignotage du soleil. Et tout à coup, ça y est. Elle arrive, la lune cannibale.

Mythes et légendes :En chine, un astronome donna l’explication de l’éclipse de soleil. C’était une énorme truie qui mangeait le soleil, et il donna le remède. Cette truie, bien que très grosse, était très peureuse, et en particulier du bruit. Ainsi, lorsque débutait une éclipse, tout le monde sortait en criant, et tapant sur des objets métalliques. Et chaque fois, la truie se sauvait en laissant le soleil intact. La notoriété de cet homme fut grande.

Plusieurs siècles ont passé depuis cette croyance, et loin de faire un potin du diable pour faire fuir cette grosse truie, on se délecte du moment présent, attendant avec impatience le maximum. Petit à petit on y arrive.

Serge a installé un montage de sa fabrication pour regarder par projection

Le moment le plus beau est en train d’arriver. Ce fin croissant lumineux, petit à petit va devenir un cercle complet, mais pas parfait. Avec une régularité diabolique l’anneau se forme. On assiste alors à un véritable spectacle tout à fait étonnant. Les rayons du soleil passent entre les reliefs du limbe lunaire qui se découpent en ombre chinoise.

Et c’est maintenant qu’on va pouvoir constater l’effet produit par le  fait que nous soyons 6’ plus bas en latitude par rapport à la ligne de centralité. Les centres soleil et lune ne se superposent pas.

4 minutes du 2ème au 3ème contact, pendant lesquelles on a le temps de voir la lune glisser sur le soleil. Puis de nouveau lors du 3ème contact les éclairs de lumière époustouflant

Pendant l'éclipse

On a quand même eu le temps de se rendre compte que luminosité et chaleur avaient baissé pendant le maximum de l’éclipse. Certes ce n’est pas aussi contrasté que lors d’une éclipse totale, mais tout de même, c’est une curieuse impression d’avoir un ciel si bleu et tout cet environnement un peu blafard.

Avant le maximum
Pendant le maximum

Doucement chacun poursuit sa course dans ce ciel bleu azur, et nous prenons quelques minutes pour aller observer ce qui se passe sous les oliviers.

la voie lactée

Bien décidés à ne pas en rester sur ce bon moment, après avoir satisfaits nos estomacs de gaspachos, légumes frits et autres sèches grillées au feu de bois, nous nous octroyons 2 belles nuits d’observation. Les strocks ont fumé. Quel ciel !!!

Voie lactée – Sagittaire – 10 mn de pose en parallèle sur C8 sur pellicule Fuji 200 Asa – Obj. 50 mm ouvert à 5.6
Magnitude78_logo

Magnitude 78,  le club d’astronomie de Saint-Quentin en Yvelines s’est spécialisé depuis plus de 30 ans  dans l’observation  du ciel, la construction d’instruments, le dessin, les voyages…

Nos coordonnées :
Magnitude 78  (MJC Mérantaise)
6, rue Hodebourg
78114 Magny les Hameaux