Le cadran solaire de Regiomontanus

Petite merveille insolite........

Brigitte ALIX
artisan « astrolabiste »
www.astrolabes.fr
contact@astrolabes.fr

Je vous invite à découvrir un objet pour le moins insolite. Son histoire et les circonstances qui l’ont fait arriver entre mes mains ne sont pas banales.

le cadran de Regiomontanus

Lors de l’exposition des Métiers d’Art au Carrousel du Louvre en décembre 2010, j’ai rencontré un artisan restaurateur d’horloges anciennes qui, intrigué par les tracés figurant sur mes astrolabes m’a apporté cette petite plaque de laiton, en me signifiant qu’elle « traînait » dans sa boite à outils depuis des lustres. Fils, petit fils, arrière petit fils, arrière arrière petit fils d’horloger….., vous l’aurez compris, il a hérité de cet objet, mais se trouvait fort perplexe quant à son utilité et la signification des tracés.

La réponse

A première vue, ce me semble être un cadran solaire, de petites dimensions puisqu’il fait  8,4 cm x 5,4 cm (quasiment les dimensions d’une carte de crédit !!), cadran solaire pourvu d’une barrette mobile munie d’un curseur. Chaque extrémité de la barrette est fermée par une petite plaque de laiton percée d’un petit trou. Les tracés similaires à ceux d’un astrolabe se situent sur la face que je qualifie de « face arrière ». On y voit en effet les arcs des heures inégales, ces fameuses heures qui correspondent au découpage de la journée (du lever au coucher du soleil) en 12 heures. Ce qui attise encore plus ma curiosité, c’est la mention de ce qui pourrait être une date : « 1620 ».

Amusé par ma curiosité, l’artisan me laisse l’objet en espérant que je pourrais lui apporter quelques explications.
Après quelques recherches dans des ouvrages traitant des instruments anciens, je retrouve une gravure tirée d’un traité d’Oronce Fine :

Le cadran de Regiomontanus, Oronce Fine, Venise 1670

Le voile se lève alors très rapidement. Donc, c’est bien un cadran solaire, dit de Régiomontanus, car les tracés ont été inventés par cet astronome ayant exercé son art au milieu du XVème siècle.  Sa spécificité est d’être un cadran dit « universel ». De plus il se classe dans la catégorie des cadrans de hauteur, c’est-à-dire qu’ en mesurant la hauteur du soleil au dessus de l’horizon on pourra lire l’heure solaire.  Il est utilisable de 16° à 60° de latitude Nord. D’après la gravure du traité d’Oronce Fine, on peut voir l’instrument muni d’un bras articulé complété par un fil à plomb sur lequel coulisse une perle. Sur l’exemplaire en laiton, la barrette mobile avec le curseur remplace ce bras articulé, et visiblement elle est incomplète puisqu’il manque le fil à plomb et la perle. L’étude des tracés va permettre de comprendre comment utiliser la face avant de ce cadran.

Le triangle pointe en bas (encore appelé « capuchon » qui occupe la moitié supérieure du cadran est constitué du calendrier zodiacal, des lignes de latitude, des lignes de déclinaison. (elles correspondent à l’angle que fait le soleil avec le plan de l’équateur céleste).

La ligne verticale avec  ^ à gauche et d en dessous à droite, est la ligne des équinoxes, la déclinaison du soleil est égale à 0°.

La ligne oblique à gauche avec le symbole a correspond à l’angle maximum, c’est à dire +23° 26′, c’est le solstice d’été, le 21 juin.

La ligne oblique à droite avec le symbole g correspond à l’angle minimum, c’est à dire -23°26′,  c’est le solstice d’hiver, le 21 décembre.

Les lignes de déclinaisons sont tracées pour la position du soleil en longitude écliptique tous les 10°.

les lignes de latitudes sont graduées de 20° à 60° et de 2 en 2 °

 

Dans la moitié inférieure du cadran sont tracées les lignes horaires,

Sous l’arc Horae Matutinae, les heures du matin, et sous l’arc Horae serotinae, les heures du soir.

 

Sur le côté droit des lignes horaires, on retrouve le calendrier zodiacal.

 

Traduction latin/français :

Horae matutinae : heures du matin

Horae serotinae : heures du soir

Ars mera solaris depingere lampadis horas : l’art de représenter les heures de la lumière

Est potis utilis regula certa plagis : assez utile à tous

Agenni Jean Girardin sculptis 1620  : Jean Girardin  (m’a) gravé  en 1620 à Agen.

L’essentiel étant dit concernant les tracés de cette face, il devient facile de comprendre comment on va se servir du cadran pour lire l’heure solaire.

Considérons que nous sommes à 50° de latitude et que le soleil  se situe au premier jour de son passage devant la constellation du Taureau, soit 0° du Taureau ou 30°  de longitude écliptique, ou encore le 20 avril. On règle le curseur à l’intersection de la ligne de latitude 50° et de la ligne de déclinaison qui correspond au début de la constellation du Taureau. Il faut ensuite tendre le fil vers le calendrier zodiacal situé à droite des lignes horaires, et amener la perle sur la graduation qui correspond au début de la constellation du Taureau.

Vous l’aurez remarqué, le calendrier zodiacal est tracé selon la tradition antique, 12 constellations de 30°.

Il va s’agir ensuite de mesurer la hauteur du soleil au dessus de l’horizon. Il « suffit » de faire passer la lumière du soleil par les trous situés sur les plaques de part et d’autres de la barrette.

Hauteur mesurée 15° 30’.
On regarde alors sur quelle ligne horaire s’est positionnée la perle.
Si le soleil n’a pas franchi le méridien au sud, on est le matin et on lit à peu près 6h40 heure solaire.
Si le soleil a franchi le méridien au sud, on est l’après midi et il est environ 5h20 heure solaire.

Quelle utilité pour un horloger d’avoir un tel instrument ?

Les historiens s’accordent sur le fait que l’horloge serait apparue au 11e siècle comme mécanisme pour faire sonner les cloches à intervalles réguliers dans les monastères. Toutefois, la première horloge mécanique authentique est apparue en Occident au 13e siècle. Seulement ces horloges ne bénéficiaient pas d’un mécanisme permettant de conserver l’heure exacte, elles se déréglaient continuellement. Il était donc nécessaire de les remettre à l’heure, c’est à dire à l’heure solaire locale. Il faudra attendre l’invention du chronomètre « garde temps » de John Harrison en 1759 pour remédier à cette maladie chronique de dérèglement des horloges.
Donc, avant cette invention du chronomètre qui ne se dérègle pas, les bourgeois de Paris, envoyaient régulièrement, en général fin de matinée, leurs valets dans une rue très connue afin de remettre leurs pendules à l’heure. Cette rue était le « fief » des cadraniers, D’ailleurs il reste une sculpture en pierre représentant un cadranier en plein travail au dessus de la porte du n° 19 de cette rue.

Le cadranier, avec un cadran solaire (de type horizontal, vertical, équatorial, polaire, ou de hauteur comme celui présenté ici) « prenait » l’heure du soleil, et l’heure des horloges était calée sur cette mesure. Cette rue avait été tout simplement baptisée Rue du Cherche Midi.
On peut penser qu’un horloger, plutôt que d’amener ses horloges Rue du Cherche Midi, avait meilleur compte à régler ses horloges lui-même.
Seulement l’instrument qui m’a été prêté est de fort petite taille. Sa précision est donc toute relative. Cependant, sans chercher midi à 14h (!)  il n’est pas interdit de penser qu’un horloger, qui par essence s’intéresse au temps, ait pu, par curiosité se procurer ce genre de cadran.
Quant à savoir si ce cadran, daté de 1620 est un original, ou une reproduction, apparemment une analyse des soudures des petites plaques de laiton latérales sur la barrette, pourrait permettre d’en savoir plus. Reste à trouver qui peut réaliser ces analyses…..
Mais le plus important ne réside-t-il pas dans le fait que cet instrument nous raconte une belle page de l’Histoire des Hommes et des Sciences ??

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